Le jeu de la mort,

Soumission et obéissance

(première partie)

 


 
 

 

 

Le documentaire scientifique Le jeu de la mort1, diffusé mercredi 17 mars 2010 sur la télévision française a fait beaucoup parler.

Le producteur Christophe Nick, a recruté 80 personnes, sous prétexte de tourner la version test d’un show de télé réalité devant public. Le jeu, Zone Xtreme, consistait pour les participants à administrer des « châtiments » sous forme de décharges électriques de plus en plus dangereuses à un sujet supposé apprendre et répéter une association de mots. « Il est incontestable qu’au moment où ils signent le contrat, ils savent qu’ils sont dans l’éventualité de devoir être des agents d’exécution » affirme l’un des chercheurs, Jean-Léon Beauvois, professeur de psychologie sociale.

 

Précisons que les participants savaient qu’ils n’avaient rien à gagner, dans le cadre de l’émission pilote. Leur motivation n’était donc pas économique.

 

Ce documentaire est un « remake » de la fameuse expérience de Milgram2, répétée depuis 1960 sous plusieurs variantes et qui vise à « analyser le processus de soumission à l'autorité, notamment quand elle induit des actions qui posent des problèmes de conscience au sujet ».

 

Dans les années soixante, l’autorité avait été incarné par des scientifiques en sarraux blanc. Mais Milgram a lui-même discuté des parallèles avec l’autorité militaire et ses dérives historiques comme la Shoah et certains événements particulièrement dégradants de la guerre du Vietnam. Cette fois-ci, l’autorité était incarnée par la télé, sa charmante animatrice et son public.

 

Cette expérience met en œuvre différents principes psychologiques illustrés par Milgram qui mènent à la mise à mort (truquée) d’un être humain, cette fois-ci, en public et sous les projecteurs, pour fins de divertissement.

 

La déresponsabilisation : On rassure le participant en lui faisant sentir que quelqu’un d’autre prend la responsabilité de l’expérience. En même temps que sa responsabilité, le sujet perd son autonomie et devient « l’agent exécutif d’une volonté extérieure ». Combien d’occasions avons-nous de dire: « J’obéissais aux ordres… Je ne faisais que mon travail… C’est comme ça, je n’y peux rien… »

 

L’escalade de l’engagement : La situation est une sorte de piège pour l’égo. Au bout d’un moment, le sujet sent qu’il ne peut plus reculer : ce serait porter l’odieux d’admettre qu’il a eu tort d’aller jusque là. Cela explique comment il est parfois plus confortable de persister dans l’erreur que de corriger nos comportements néfastes. Les autorités publiques nous en ont montré un exemple retentissant dans la gestion de la crise de la grippe A (H1N1). Notons aussi que dans la vie de tous les jours, il est plus facile aux jeunes de se remettre en question. Les individus plus âgés qui, en vrais philosophes, arrivent à changer pour d’autres les principes qui ont guidé leurs actions dans la vie sont presque héroïques.

 

L’anxiété comme soupape : L’individu qui obéit à une autorité extérieure, en contradiction avec sa propre conscience expérimente un conflit et un malaise croissants qui comportent des risques de traumatisme. Pour rendre son comportement plus acceptable, il s’en dissocie en émettant des réserves, des soupirs, des rires nerveux et des critiques de plus en plus explicites. De même, nous sommes fréquemment en position critique face à la société dont nous mimons pourtant le comportement avec une obéissance déconcertante. Et l’anxiété collective ne va-t-elle pas en s’accroissant ?

 

Le conformisme renforce la soumission : Dans la Zone Xtreme, le public clame et réclame :

« Châtiment ! ». La mise en scène du plateau de tournage et l’aspect public laisse croire que « Ça ne peut pas être si mal que je le ressent ». D’autres expériences connues3 ont montré l’impact immense du désir des personnes d’éviter les conflits et de rechercher l’approbation générale. Combien de fois choisissons-nous de dire ou de faire comme tout le monde pour éviter le rejet ou l’affrontement ?

 

L’autorité change de forme mais au fond la soumission n’est pas disparue. Le professeur Beauvois commente : «Avant il y avait la masse des fidèles, il y a eu la masse des travailleurs, la masse des soldats… … là il y a cette masse d’individus télé-visualisés parce qu’ils ont été fabriqués à la même enseigne, par les mêmes pubs … et cette masse est une masse gérée, au niveau des pensées, des attitudes et des comportements. Bien j’appelle ça un totalitarisme. Il est tranquille parce qu’on ne nous tape pas sur la gueule et qu’on ne nous met pas en prison. Voilà ». Dans les années soixante, soumis à l’autorité scientifique, 65% des sujets sont allés au bout de l’expérience. Cette semaine, 80% des participants sont allé jusqu’à tuer devant public pour une autre forme d’autorité.

 

(à suivre…)

-Youri Pinard

 

1 Le Jeu de la mort: extrait

2 Expérience de Milgram

3 Conformisme

   

23 mars 2010

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